Confessions d’une ex-musulmane.

Lorsque j’étais gamine, peu de temps après mon arrivée en France une amitié sincère et insolite s’es créée avec ma toute première enseignante. Je lui dois beaucoup d’une part de mon éducation et de mon apprentissage de la langue française, celui qui s’est opéré par la découverte à ses côtés de l’univers magique de la littérature. Dans les couloirs feutrés de la bibliothèque départementale de Marseille, je me baladais à travers les rayonnages et flirtais entre les romans et les BD. Je revenais à la maison avec un sac cabas rempli d’histoires toutes plus fantastiques les unes que les autres et de moments de partage riches d’humanité et de générosité, auprès de cette grande dame qui m’a ouvert la porte de son foyer. C’est avec elle, qu’au cours de l’une de ces sorties hebdomadaires je découvre un jour Marjane Satrapi et que j’ai commencé à prendre conscience de la notion de féminisme. Persepolis. La ville Perse. L’Iran et la dictature théocratique.

J’avoue m’être reconnue tout de suite dans ce récit, d’une petite fille volubile et originale, dans une société qui considère la femme comme subalterne, comme humain de seconde zone. Le récit de Marjane Satrapi est empreint de cette colère contre un système dans lequel les libertés individuelles ne sont qu’utopie, où l’émancipation des femmes relève de l’acte de résistance. Son récit est empreint aussi de cette question de l’identité, Ô combien difficile, lorsque l’on quitte son pays pour un autre. Marjane Satrapi a mis en images la préoccupation et le combat de millions de femmes orientales et nord-africaines. Ces femmes qui connaissent mieux que quiconque le prix de la liberté et de l’insoumission, le prix de pouvoir être force de proposition sans avoir à rendre de compte à personne ; et surtout pas un homme, sans avoir à peser ses mots.

Mais voilà, cet été les plages françaises ont vu arriver un bien drôle d’apparat, que j’avoue n’avoir jamais vu avant.

Trois syllabes pour un vaste scandale.

Bur-ki-ni.

Je ne sais pas bien qui a trouvé le nom, mais ce serait un néologisme qui serait formé à partir de « bikini » et de « burqa ».

J’ai d’abord vu le scandale naître à Marseille, lorsqu’un parc aquatique voulait privatiser le lieu pour accueillir seulement des femmes portant le burkini. Ce n’est pas tant le fait de privatiser un lieu qui me pose problème, nous l’avons tous déjà fait pour des célébrations, pour des séminaires et autres réunions privées ou professionnelles. Seulement là, il s’agissait d’une motivation religieuse bien claire, visant si l’on va jusqu’au bout du raisonnement, à cantonner les femmes dans leur rôle de femme. Une tentatrice par définition qui se doit de rester pudique et humble face à l’homme. Un être qui ne sera et ne restera que la moitié d’un homme, mineure à vie.

Et ce genre de revendications prend de plus en plus de place dans l’espace public, grappillant toujours plus sur le terrain du communautarisme, au détriment du vivre ensemble. Sapant la véritable définition de liberté et de laïcité. Parce que oui, cet événement visait à laisser ces femmes dans l’entre soi de leur pratique et de leurs conditions de femmes. Elles pouvaient se baigner mais seulement vêtues de leur tenue de bain islamique avec leurs enfants (oui on est au parc aquatique, et ça n’allait pas être bibi qui allait s’occuper des gosses, faut pas déconner non plus).

Alors, oui, me direz-vous, toutes les valeurs sont plurielles et représentent pour chacun quelque chose de précis, mais beaucoup autour de moi ont brandi ces étendards là sans jamais considérer que ces combats se doivent d’être universalistes. Si je peux dans une certaine mesure comprendre la revendication des ces femmes sur la forme ; sur le fond, un tas des visages me hantent. Elles s’appellent Katia ou encore Amel, la fleur de l’âge, qui ont payé au prix de leur vie leur refus de porter le voile. Parce que la réalité que ces soi-disant intellectuels de la laïcité et militants antiracistes à deux balles essaient de voiler aussi, c’est ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée. Oui tout près, à quelques centaines de kilomètres de là, on égorge ou on condamne à l’illettrisme les jeunes femmes qui refusent de se couvrir la tête et ces cheveux ô combien érotiques et suscitant le désir sexuel. Parce que la culture, la liberté et la rébellion dérangent dans ces pays, parce que ces gens ont fait de moi et de beaucoup d’autres de ces femmes du Moyen-Orient des exilées, je n’arrive à avoir que peu d’empathie pour ce débat qui n’en est pas un. Après tout, se voiler c’est se résoudre à l’idée que nous sommes avant tout des êtres sexués, et qu’étant objet séduisant il faut se cacher. Mais moi aussi, je trouve les hommes désirables, pourquoi diable ne faudrait-il pas les camoufler eux aussi ? Ah dans ce sens c’est tout de suite plus compliqué. Qu’ont donc ces gens à me répondre ?

Mais trêve de digression, je veux maintenant m’adresser à ces femmes notamment qui font ce choix, qu’ont-elles à répondre à toutes ces résistantes iraniennes qui combattent pour leur liberté depuis la Révolution Islamique et qui bravent l’autorité à s’afficher tête découverte, ces femmes qui plutôt que de perdre leur temps dans des pleurnicheries sans queue ni tête, se voient elles récompensées de Prix Nobel de la Paix comme Malala Yousafzai, la jeune pakistanaise qui a résisté aux fondamentalistes musulmans que sont les Talibans ou encore Shirin Ebadi militante invétérée pour la défense des droits humains en Iran. Qu’ont-elles comme argument à donner à ces jeunes filles privées de lycée en Algérie (http://www.courrierinternational.com/article/algerie-pas-decole-pour-les-filles-non-voilees). Qu’ont-elles à raconter à ces égyptiennes qui même voilées se retrouvent tout de même abusées dans les faubourgs de la capitale et dans les transports en commun ?

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Elles parleront de liberté, mais si la liberté se revendique, elle se respecte aussi. Où est-elle, la liberté, dans une religion qui bannit celle des autres, qui interdit la pratique de l’avortement, qui interdit l’homosexualité et le transgenre, qui interdit la sodomie ou encore les rapports sexuels hors mariage ? Où est la liberté quand on peut lire que « Vos femmes sont pour vous un sillon fertile. Allez à votre sillon, comme vous le voudrez. » II, 223 et que par conséquent nulle musulmane ne peut refuser un rapport sexuel à son mari faisant implicitement l’apologie du viol conjugal ?

Est-ce donc cette liberté et cette laïcité-là que vous revendiquez et que vous voulez enseigner ailleurs ?

Laïcité je veux bien, mais où est donc, toi, ta part de laïcité lorsque tu considères que tout autre croyance, le polythéisme et l’athéisme sont l’un des pires péchés et que tu ne verras jamais comme autre chose qu’une kâfira, une vulgaire mécréante. Comment peux-tu, chère amie, te revendiquer comme féministe alors que ta religion est l’antithèse de la liberté des femmes. Si ce n’était pas le cas, crois moi, jamais nous n’aurions quitté nos pays d’origine, nous primo-arrivants, et sans nulle doute vos parents et grands parents aussi.

A moins que vous ne l’ayez oublié.

Révolutionnairement vôtre,

La Robe Rouge

Pourquoi je déteste le foot.

Sur le boulevard d’Athènes à Marseille, au bas duquel on voit les escaliers de la gare Saint Charles, j’ai mes petites habitudes dans un café. On ne peut pas faire plus central, et c’est un quartier foisonnant de diversité, de parfums, d’épices mais aussi de misère. Entres les bars et leurs terrasses, il y a aussi les bureaux d’associations d’aide aux demandeurs d’asiles, des campements précaires de Roms, le consulat de Tunisie, le marché de Noailles, la Fac de Droit et l’ESPE, des prostituées aussi et tout cela dans un tout petit périmètre.

Le samedi, c’est noir de monde, les gens sortent faire leurs courses ou flâner au soleil en sirotant un Gambetta Limonade, une boisson typique d’ici. Tout ce joyeux bazar fonctionne toute l’année. Sans heurts, sans violence. Et, j’ai l’habitude tous les matins de prendre mon café dans l’une ces terrasses au croisement de la Canebière et du boulevard d’Athènes, comme je l’ai fait hier au milieu de la matinée. En descendant depuis le cours Julien, je constate l’arrivée massive de supporters anglais et russes. S’il est vrai que ce quartier n’est pas épargné par le problème du harcèlement de rue et qu’il m’est arrivée de me faire alpaguer dans la rue, hier je n’ai jamais rien vécu de tel. Sur les 400m qui séparent mon domicile du café, j’ai pu dénombrer une bonne dizaine d’accostage intempestifs : sifflements, des mots inaudibles d’un argot anglais que je n’ai pas cherché à comprendre mais aussi d’autres qui sont venus « m’inviter à boire une bière ». Il était 11 heures du matin.

J’arrive tant bien que mal à mon café pour travailler et trouve le café bondé, avec des supporters déjà bien éméchés avec des pintes face à eux. J’arrive tout de même à trouver une place à l’extérieur. Je constate que je suis la seule femme, et que tous les regards sont tournés vers moi. J’assiste aussi à de curieuses scènes où ces mêmes plaisantins ivres vont aborder les femmes du campement Rom et les prostituées. Je fais abstraction et continue de préparer mon intervention de l’après midi à une cinquantaine de mètres de là, à la Cité des Associations. La thématique ? Le vivre ensemble…

Face à moi, la rue continuait de devenir de plus en plus bondée, et je sentais déjà la tension monter entre l’alcool et les regards noirs que se lançaient anglais et russes lorsqu’ils se croisaient.

Mon intervention portait donc sur le bilan quant au vivre ensemble et pendant deux heures j’ai animé un débat sur les constats et les solutions pour mieux le faire tous les jours. Je sors satisfaite de mon après-midi et de mon intervention, avec le sentiment d’avoir été à cet instant précis une pépiniériste d’idées face à des parents (pour la plupart) désireux de faire et d’inventer. Arrivée dans le hall, j’entends des bruits d’hélicoptères, des sirènes, des cris et lorsque je sors enfin à l’extérieur en faisant quelques mètres en direction du Vieux-Port, là… je n’ai même pas les mots pour le décrire. Du sang par terre, pas un petit mètre carré sans dépris de bouteilles d’alcool, des gens qui courent dans tous les sens, des bouteilles de bières qui volent dans tous les sens et qu’on entends se briser à peu près partout. Certains bars commençaient à fermer, les promeneurs et vendeurs du vide-grenier hebdomadaire pliaient bagage et rentraient se mettre à l’abri. Qu’on se le dise c’était le chaos. Moi qui venait de parler pendant deux heure de paix et de société apaisée, j’assiste à une scène de guerre.

La peur me prend au ventre, mais c’est ensuite la colère qui me saisit. Je hais le foot. j’abhorre le culte du ballon rond. J’abomine ce fascisme footbalistique. La mafia qu’il y a derrière me répugne. J’ai à ce moment là tout un tas de phrases que j’ai entendues ou lues qui me reviennent à l’esprit et qui résonnent péniblement. « Cette coupe d’Europe sera une manne financière pour tout le monde », « nous exhortons les manifestant à s’abstenir d’aller dans la rue pour ne pas mettre en danger les supporters étrangers », « quoi…? accueillir des réfugiés qui fuient la guerre et la misère, mais ça va pas, ces décérébrés venus d’outre Méditerranée vont mettre le pays à feu et à sang, violer nos femmes et nos filles ».

Frénésie de l’argent, des millions qui flambent pour de la pacotille, blanchiment, exploitation sexuelle à l’ombre des matchs ces joueurs se croyant tout puissants, exploitation des ouvriers qui fabriquent tous les goodies vendus à des décérébrés inconscients dont le maillot aura été fabriqué par un gamin de 12 ans auquel il n’aura été rétrocédé pas plus de 60 centimes… Et surtout, la folie violente et inconsciente que j’ai vu hier dans les rues dans lesquelles j’ai plaisir à me promener tous les jours. L’autre chose que je me suis demandée, c’est : « mais où sont les flics…? »

Depuis plusieurs semaines, chaque fois que j’allais manifester contre la loi travail, cela terminait mal. Nous étions pourchassés comme des rats, les CRS formaient régulièrement des murailles humaines le long du kilomètre de trottoir que compte la Canebière et hier… de l’ordre du ridicule.
Tout le monde savait que ce match était sous haute tension, la veille déjà des heurts avaient eu lieu, comment peut on croire à un tel manque d’organisation concernant un événement international que nous savons tous synonyme de violence et d’alcool. Tandis que face à cela, les personnes qui bloquent les usines sont des terroristes, faire avancer le débat, c’est mal et manifester met en danger les gentils supporters venus en France pour l’UEFA. J’ai même vus des gens se faire arrêter car ils se sont rendus à la plage et que des galets étaient restés dans leur sac. C’est certain que c’est super dangereux face aux bouclier et au bombes de désencerclement…

Alors maintenant, que l’on arrête de se voiler la face, hier il ne s’agissait pas du tout des terroristes grévistes musulmans coupeurs de tête entrés en France illégalement et venus mettre en péril cette pauvre race blanche chrétienne. Et malheureusement hier, ce que j’ai vu c’est le deux poids deux mesures. Sauf qu’en l’occurrence, ce qui s’est passé dans mon quartier est inadmissible et je voudrais pointer du doigt la mise en danger d’autrui. Hier plus que jamais je ne me suis pas sentie en sécurité, pas sentie protégée dans une scène d’émeute. Le ministère de l’intérieur a fait une faute grave dans la considération de cette manifestation et dans celle de la censure du droit de grève.

Je ne me reconnais plus dans cette France qui cautionne le consumérisme financier et sexuel, les trafics en tous genre et la violence portée par ce sport soi-disant populaire qu’est le foot alors que l’on brime ceux qui ont pour seul tort de s’insurger contre la casse de nos conquis sociaux.

Ma sécurité de l’emploi se fait prendre en otage par mon Etat et mon doux et bel été se fait polluer par des personnes faisant l’apologie de l’abrutissement par un loisir violent et obsolète.

Non, la France ne va pas bien du tout, et il faudrait sérieusement se mettre à se poser les bonnes questions.

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Révolutionnairement vôtre,

La Robe Rouge

Vivre ensemble… oui, mais comment?

 

Le constat que l’on peut faire depuis quelques années c’est celui d’une crise du vivre ensemble. On divise et on oppose plus qu’on rassemble. On oppose les catégories d’âge, les cultures, les ruraux et les urbains, les politisés et ceux qui ne le sont pas, les ouvriers face aux patrons et surtout on ne s’écoute plus ! Parler de vivre ensemble et poser le débat est déjà un vrai progrès, mais nous manquons tous cruellement de bienveillance et de cette étincelle qui fait de chacun de nous une personne ressource qui peut être force de proposition.

C’est pourtant là que se pose la magie de l’éducation populaire : l’éducation par tous et pour tous ! Chacun de nous a sa petite particularité et sa pierre à apporter à ce gros édifice bancale qu’est notre société.

 Depuis plusieurs décennies, on observe avec inertie la recrudescence des inégalités, de l’écart entre les plus riches et les plus pauvres, en simples spectateurs et nous nous sentons tous un peu déconcertés et dépourvus de moyens et d’outils concrets pour agir.

Ces écarts ne sont pas seulement des inégalités de fait mais des inégalités accentuées par la société, l’Ecole et certaines politiques publiques. C’est d’ailleurs le cas en ce qui concerne la question de traitement entre les territoires. Pour ne prendre que l’exemple francilien, en 2010 l’État a investi 47% de plus pour un élève Parisien que pour un élève de banlieue.

Pourtant, dans ces quartiers, pour les jeunes c’est la triple peine : ils sont davantage touchés par l’échec scolaire et le chômage et les pouvoirs publics ne travaillent pas assez à développer ces territoires afin de pallier ces inégalités croissantes. Depuis plusieurs décennies, les techniciens de l’urbanisme tirent pourtant la sonnette d’alarme en parlant de l’importance de  « l’accompagnement au logis » en terme d’utilités écologiques de base. « Ecologique » entendu dans un sens très large qui signifie simplement mettre à disposition des lieux de vie tous les services et outils nécessaire à une vie correcte et épanouie.

Non seulement nos quartiers se désertifient en terme d’offre culturelle mais les perspectives d’avenir pour les jeunes notamment, sont bien minces, dépourvus d’accompagnement. Ne serait-ce qu’à cet égard, comment vivre ensemble quand il n’y a aucun lieu qui puisse nous unir ? Les maisons de quartiers ont de moins en moins de moyens, certaines, comme cela l’a été dans le quartier dans lequel j’ai grandi, pourtant classé comme quartier prioritaire, ferment sans que l’on n’ait quoi que soit à dire, les lieux culturels deviennent des lieux pour une certaines élite qui a les moyens et les codes pour les fréquenter…

Une société déjà sclérosée par cette crise du vivre ensemble et qui plus est ne se donne même pas les moyens de pacifier les rapports et de rapprocher les individus. Nous partageons les mêmes immeubles, les mêmes quartiers, les mêmes écoles, les même lieux de travail et pourtant au quotidien, c’est chacun chez soi.

Evidemment, à mon sens c’est une volonté de la superstructure d’exacerber cette réalité. Une société de vivre ensemble est une société où les individus ne sont pas un groupe pour soi, mais un groupe en soi ; et il est effectivement plus facile de gouverner et contrôler des groupes atomisés plutôt qu’une seule et même « masse » qui a conscience de ses besoins et qui agit de concert. « Le peuple », « la masse » effraie les puissants, et se fédérer et la crainte la plus grande de nos gouverneurs. Les manifestation contre la loi travail en sont d’ailleurs la parfaite illustration, au delà des enjeux que représente cette loi pour nous tous, c’est le fait que chacun l’ait conscientisé qui effraie d’avantage et le fait de voir des centaines de milliers de personnes se réapproprier la rue.

Toutefois, mêmes ceux qui ne souffrent pas de l’échec scolaire et qui arrivent à prendre le chemin de l’émancipation par l’Ecole, se retrouvent tout de même confrontés à la non maîtrise des codes de notre société et souffrent de ces inégalités discriminantes. Pas seulement pendant la jeunesse d’ailleurs, mais même bien après lorsqu’il s’agit d’accès à l’emploi ou à certaines sphères de notre société. L’insertion citoyenne se trouve être très difficile, et pourtant, quelqu’un qui ne sent pas citoyen d’un même espace n’est pas à même de se rapprocher de l’Autre pour créer quelque chose en commun. Parce que vivre ensemble est indissociable de l’idée de faire ensemble. Et pour cela, la clef de voûte est l’idée de faire société, en intégrant tout le monde.

La réponse à apporter est donc celle d’impulser des dynamiques éducatives locales, à savoir au cœur même de ces quartiers populaires. Parce qu’en réalité comme je vous le disais plus haut, tout passe par l’éducation. Chacun de nous a un enseignement à apporter à autrui et inversement.
Non pas en remplaçant le rôle de l’école, raccourci trop couramment fait, mais en se positionnant comme tiers éducatif en lien avec toutes les composantes de la société, afin de créer de véritables alliances éducatives. C’est faire le pari de l’intelligence en militant pour la laïcité, le respect de l’autre dans la part d’humanité qui nous rapproche mais également dans nos différences. Cette attitude est qui plus est une réponse concrète de développement local, de lien au territoire et de développement humain.

Historiquement, nous avons cette belle chance d’avoir un pays dont l’identité est celle du brassage culturel et de la diversité mais la France est aussi un formidable exemple de société assimilationniste consciente de la bêtise de injonction des citoyens mais qui continue à le faire. Pourtant, tout le monde sait que la richesse culturelle et l’implication de chacun à apporter sa spécificité et le meilleur moyen pour l’inclusion de chacun et le meilleur moyen de remettre chacun dans la place qui lui est due: à savoir celle d’un citoyen responsabilisé et qui se sent responsable de sa société. Malheureusement, notre société est celle de l’infantilisation et celle-ci crée non seulement des frustrations mais en plus elle empêche les individus de prendre part à la res publica. Les ouvriers ne sont pas assez qualifiés pour s’exprimer, les jeunes sont trop jeunes pour avoir des idées intelligentes, les vieux sont trop fatigués, les femmes ne servent qu’à être jolies et faire des bébés, les syndicats et les musulmans sont des terroristes, etc, etc… et je caricature à peine ! Cette crise du vivre ensemble vient aussi de là, les gens sont éduqués de sorte qu’on leur confisque la possibilité d’agir, et ils sont persuadés qu’ils n’ont pas les compétences pour faire ensemble. Sommes nous en démocratie ou pas ? D’où doivent venir les décisions ? Assurément, pas d’en haut ! Ceux qui sont en haut doivent nous représenter et pas décider à notre place. Ainsi, malgré une utilisation dangereuse du Droit par nos décideurs pour faire à notre place et nous diviser, nous avons tout de même aussi une petite part de responsabilité dans cette crise du vivre ensemble car pour beaucoup nous nous sommes auto-censurés dans notre possibilité de faire.

Par ailleurs, nous cautionnons et avons trop longtemps cautionné, que ce soit de la part des grands médias dominants et des décideurs, des discours xénophobes et stigmatisant des groupes de personnes. Pourtant, se taire pour ce genre de choses c’est le légitimer et le normaliser. Nous laissons nos semblables se faire insulter ; alors qu’à mon sens nous sommes aussi responsables que les auteurs de propos qui divisent par notre inertie. Je retiens de Gandhi la phrase  » sois le changement que tu veux voir dans le monde » ; qui pour moi est la réponse la plus intelligente dans ce sujet car nous devons arrêter de se dédouaner et de se dire que c’es à l’Etat, à l’Ecole ou à je ne sais qui d’autre de prendre les bonnes décisions pour tel ou tel sujet. Non ! Il nous incombe à chacun d’être porteur du changement qu’il a envie de voir et surtout de se fédérer avec d’autres pour porter cette idée. C’est en faisant ensemble que nous parviendrons à vivre ensemble et c’est en vivant ensemble que l’on arrivera à être un levier pour changer ce qui ne va pas. Le rapport de force nous paraît insurmontable justement parce que nous n’agissons pas ensemble. Cessons de faire le jeu du libéralisme en étant individualistes.
L’heure du vivre ensemble a sonné !

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Révolutionnairement vôtre,

La Robe Rouge

Lettre à Carlos

Ah tiens Carlos!

Comment vas-tu? Ah… tu as donc oublié? Chez les prolos on se tutoie, c’est comme ça, l’ambiance populaire et tout. Alors parlons-en tiens. Il paraît donc, que ton salaire a été doublé le mois dernier.

Je suppose que la situation devait être difficile pour toi et que par conséquent tes conditions de vie devaient être revues à la hausse. Oui, oui, je comprends, puis tu as trois enfants, ils faut penser à l’avenir de sa famille tout ça; et comme dirait l’autre “ ma famille d’abord”. Non, vraiment je t’assure, je te comprends c’est super difficile. Tiens, ce midi, je me suis dit allez, c’est le début du mois, je vais m’offrir une salade dans une petite brasserie, c’est le printemps, c’est agréable d’être en terrasse. Neuf euros la pauvre salade avec ses trois bouts de champignons qui se battent en duel. Quoi? Neuf euros c’est le prix de ton eau minérale…? Bon, d’accord, je crois qu’il y a méprise sur la personne. J’étais persuadée que tu étais un bon gars, enfin les médias t’ont vendu comme ça. Même les gens pour qui j’ai mis un petit bulletin on dit que tu étais là pour redresser et aider à sortir la tête de l’eau une entreprise qui emploie tout un tas de gens. Que c’était nécessaire pour donner un petit coup de pouce à notre compétitivité. Tu me connais Carlos, j’aime pas trop tout ça, en plus je suis écolo et tout, l’industrie et le productivisme très peu pour moi, il n’empêche que je me suis dit allez, voyons, faisons lui confiance, les PDG sont pas tous pourris quand même. mais qu’est-ce que j’apprends? Tu as donc, pour soi-disant sauver ton entreprise supprimé 11 000 postes… Mais enfin quand même, la famille d’abord et tout ça, tu y as pensé? Et ces 11 000 familles que tu as sciemment mis en difficulté tu y as pensé?

Et j’apprends que l’année dernière tu as perçu plus de 5 millions d’euros de salaire… Ah oui, balaise. Bond d’accord, une partie de ce que tu as perçu c’est une prime d’intéressement, soit, mais tes 150 000 salariés qui ont fait de gros efforts de productivité ils vont voir combien sur leur compte? 2000 euros pour l’année écoulée… Non franchement Carlos t’es pas sérieux.

La Robe Rouge

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DANS LES CITÉS, CES JEUNES FILLES DÉJÀ MÈRES

Comme souvent le weekend, je vais rendre visite à mes parents qui habitent ce que l’on appelle une « cité sensible », dans le sud de Marseille. J’ai grandi là aussi. Seulement, dès que j’ai pu être assez autonome pour la quitter, j’ai pris mes jambes à mon cou, et je suis partie à quelques kilomètres de là, dans le centre-ville.

PRÉCOCEMENT MÈRES

Quelque deux mille personnes y vivent. Tout le monde connaît tout le monde. Nous sommes tous allés à l’école implantée au coeur même de la cité, au milieu des « blocs » ; une vie ponctuée par les assiettes de couscous qui circulent d’un immeuble à un autre et les rues qui se désertifient lorsque les camions de CRS débarquaient.

Pourtant, ce qui me chagrine, c’est qu’un drôle de phénomène y prend de l’ampleur. Une grande partie de ces filles avec qui j’ai grandi, avec qui j’ai joué, qui ont passé des après-midi et des soirées dans ce petit appartement familial dans lequel tout le monde était reçu, sont aujourd’hui enceintes, voire déjà mères. Bien loin du scénario du « Pacte de Grossesse », ce phénomène reflète en fait une tout autre réalité.

Ce ne sont pas des cas isolés ou minimes, auquel cas je ne serais pas là à jaser, non. Il me semble que cela augure quelque chose de bien plus inquiétant et qui est selon moi de l’ordre de l’engagement de l’Etat dans les quartiers et pour la jeunesse. Effectivement, et malheureusement, ces jeunes filles précocement mères sont légion dans une grande partie des cités marseillaises – ces cités prises entre deal et prostitution quasi légale – et tout cela m’interroge.

PAS D’AUTRES VOIES D’ENTRÉE DANS LA VIE D’ADULTE ?

Est-ce normal que ces jeunes femmes, ou plutôt ces jeunes filles pour la plupart, ne voient leur avenir qu’à travers leur statut de mère et n’aient pour autre objectif que d’enfanter et élever leurs petits ? Que la seule sécurité qu’elles trouvent, que leur seule voie de réalisation, ce soit la construction d’une cellule familiale, par ailleurs elle-même complètement bancale ?

Je suis profondément triste, car les filles de mon quartier ont été à un moment mes amies. Certes, aujourd’hui, on ne se comprend plus, elles ont arrêté l’école au plus tard en classe de 3e, mais j’ai une profonde empathie pour elles ; et les voir en groupe avec leurs poussettes dans les escaliers en bas de chez moi me rend malade. J’avoue que j’espérais vraiment une autre adolescence pour elles, et une autre voie d’entrée dans la vie adulte. J’espérais un autre avenir, que nous fréquentions les mêmes bancs à l’université et que nous fassions notre chemin de vie plus ou moins en parallèle, comme le font tous les autres amis d’enfance qui fêtent leurs diplômes en même temps, leurs crémaillères en même temps, qui se présentent petit à petit leur conjoints et pourquoi pas un jour recevoir ou envoyer un faire-part de naissance.

À QUI LA FAUTE ?

Aujourd’hui, je ne peux simplement pas accepter que ces femmes ne conçoivent leur émancipation qu’à travers la maternité et à travers leur statut de mère ou d’épouses, quand bien même la plupart d’entre elles n’ont même pas la sécurité juridique entérinée par le mariage, le père étant bien souvent incarcéré ou ayant déserté la vie de ces jeunes âmes.

L’échec de l’intégration des quartiers populaires, mais aussi et surtout l’absence d’aide concrète aux enfants en échec scolaire, voilà la réalité. Je ne vois que la défaillance de l’Etat à protéger et à éduquer ses enfants ; les éduquer à avoir des ambitions, à avoir des projets, et à être libres et à comprendre ô combien l’école est émancipatrice. A plus forte raison quand on est femme et femme de quartiers. Mais si l’on n’inculque pas cela aux enfants dès leur plus jeune âge, comment se projeter dans l’avenir ? Pour conclure, une petite anecdote : lorsque j’étais en CM2, notre école avait organisé une sortie. La seule de l’année. Nous nous attendions à quelque chose de bien sympathique, on nous a emmenés visiter un lycée professionnel comme pour nous faire comprendre « oui, vous les enfants de quartiers populaires, voilà ce qui vous attend au mieux ». Est-ce normal ?

 

La Robe Rouge

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